Gilles Wullus aux lecteurs de TÊTU: «Faire un magazine qui puisse plaire à tous les homos» (1/2)

Vous lui avez posé vos questions la semaine dernière au sujet de la nouvelle formule du magazine. Le directeur de la rédaction de TÊTU y répond aujourd'hui.

Après les mariés gay de Montpellier, Jean-Luc Roméro, ou encore le sportif Ben Cohen, c'est Gilles Wullus, directeur de la rédaction de TÊTU, qui s'est prêté au jeu de notre rubrique «Vos questions à...». Il répond aujourd'hui à toutes les interrogations que vous avez déposées sur TÊTU.com la semaine dernière au sujet du magazine, alors que la nouvelle formule en est déjà à son quatrième numéro.



LA DIVERSITÉ


De Benji, grand méchant gay
«Comment TETU compte t-il prendre en compte l'évolution de la communauté LGBT en cours qui va, à mon sens, vers une plus grande ouverture sociale et l'acceptation de soi qui en découle?»

C'est exactement ce que j'ai voulu faire avec cette nouvelle formule du magazine. Les gays vivent mieux leur identité qu'il y a vingt ans, parce que, fort heureusement, la société les accepte mieux aujourd'hui. C'est par exemple tout le sens de la section Ma Gay Life à la fin du magazine, axée sur la psycho, la sexo, le soin de soi, le sport, la santé, où nous traitons toutes ces thématiques avec un vrai angle gay. C'est aussi le cahier So TÊTU, dédié aux sorties et aux divertissements très gays. Et on trouve également cette forte identité gay dans les pages Décryptages, notamment la page Boulot ou Droits. L'ouverture sociale se traduit par l'accueil de personnalités de tous horizons dans les pages Tête-à-Tête (les grandes interviews au début du magazine), ou Culture.



De dave93
«Dans la pièce "Bonjour ivresse!" un des personnages dit "y'a autant de genre d'homos qu'il y a d'homos"
vous ne mettrez jamais tout le monde d'accord!
j'aurai plutôt une question a poser aux lecteurs ou tout simplement aux homos (après avoir lu pas mal de commentaires) : êtes vous capables d'accepter la différence entre homos???
car j'ai l'impression que vous crachez sur tout et du coup ben vous vous ressemblez tous sur ce forum....vous voulez une acceptation en société apprenez à acceptez TOUS les homos déjà après les autres nous accepterons aussi»

Ce n'est pas une question, mais je rebondis : Dave93 souligne une grande difficulté pour nous qui réalisons TÊTU chaque mois: comment proposer un magazine qui puisse plaire à la très grande diversité des homos ? Parce que chaque homo se ressent minoritaire, il a souvent tendance à penser que tous les homos ont les mêmes goûts ou préoccupations que lui ; tout en pestant contre les clichés accolés aux gays et qui ne lui correspondent pas. C'est parce que nous voulons un TÊTU qui puisse parler à un maximum de gays que c'est un «gros» magazine: 200 pages! Il faut proposer une diversité non seulement de rubriques, mais aussi, dans une même rubrique, une diversité de goûts et de sensibilités.

Mais on ne pourra jamais tout refléter. Tous les gays n'aiment pas la mode, non, mais ils sont pourtant nombreux à y succomber: pourquoi TÊTU devrait exclure les uns au profit des autres ? Tous les gays n'aiment pas Mylène Farmer, c'est vrai, mais ils sont très nombreux à chacun de ses concerts ; certains gays sont fans de Julien Clerc, mais ça n'est pas l'impression qui domine dans les salles qu'il remplit: voilà pourquoi TÊTU parle plus souvent de Mylène que de Julien. Il ne faut pas chercher plus loin.



LA LIGNE ÉDITORIALE

De MysteriouScow
«J'achèterai régulièrement TÊTU, et pas au numéro de temps en temps, le jour où il deviendra un Marianne ou un Express LGBT. Avez vous l'intention d'axer le magazine sur les questions d'actualité politique et d'économie?»
Vous citez deux hebdomadaires. TÊTU est, et restera, un mensuel. Tout simplement parce que faire un hebdo nécessiterait des moyens considérables, et en plus parce que rien ne permet de penser qu'à l'heure actuelle il existe suffisamment de lecteurs «cibles» prêts à acheter un magazine gay chaque semaine.

Or seul un hebdo peut traiter d'«actualité», politique, économique ou autre. Songez que TÊTU est bouclé trois semaines avant d'être en mis en vente. Ce qui veut dire qu'au moment où vous les lisez (à supposer que vous lisiez la semaine de sortie du magazine), les articles ont été écrits entre 4 et 8 semaines plus tôt. Impossible donc de faire de l'actualité très chaude, c'est pourquoi nous privilégions les reportages et les dossiers de décryptage.

De Zboub0
Le 12 décembre à 17h53
«Y aura t'il une place pour tous ceux qui ne regardent pas forcément la vie à travers le prisme gay?»
Cette question est intrigante: il me semble qu'il y a toute la place dans le reste de la presse pour ceux qui ne regardent pas la vie à travers le prisme gay! Une des raisons d'être de TÊTU, peut-être même la première, est d'offrir un regard gay sur les choses. En employant le mot prisme, vous pensiez peut-être inconsciemment à «prisme déformant»? C'est une vraie question, mais tout regard sur une réalité est plus ou moins déformé par celui qui regarde. Si la presse gay est née et existe, c'est que beaucoup d'homos ont considéré, à raison me semble-t-il, que le reste de la presse avait un regard trop hétéro-normé sur la réalité.

MAGAZINE DE RICHES?

De MysteriouScow
«J'achèterai régulièrement TÊTU, et pas au numéro de temps en temps, le jour où il cessera d'être un grand magazine d'apparat pour riches homosexuels comme le magazine Air France ou Le Figaro. Le magazine doit s'adresser à la classe moyenne laborieuse. Est il prévu de mettre à jour vos bancs d'essai de produits en fonction du budget d'un homosexuel non millionnaire?»

De flavourebony
«Les rubriques sorties, spectacles, etc., sont essentiellement tournées vers les événements "luxueux" pour une classe restreinte. Avez-vous le projet d'améliorer cette rubrique en vous intéressant un peu plus aux événements associatifs, et aux sorties pour "classes moyennes"?
 Complètement d'accord avec Dave, j'ai l'impression que TÊTU, s'intéresse essentiellement à une certaine classe de la communauté gay. Quid des "vieux, hors-milieu, non fashion victim, banlieusards fauchés, provinciaux en dehors de la jet-set, minorité ethnique ou culturelle, etc.? Avez-vous l'intention de diversifier vos sujets et l'approche que vous en faites?
 Une bonne partie de la communauté gay se contrefoutant des dernières tendances de mode, par exemple.»


De floréal
«Autre constat : quelle clientèle vise le magazine ? Les pages mode s'adressent à des gays fortunés, certainement pas touchés par la crise, pouvant s'offrir des vestes à 3000€ et j'en passe et des meilleures. A moins que ce ne soit pour faire rêver dans les chaumières.;;; 
Un conseil donc : plus de contenu et de fond, moins d'articles sur les apparences et la faschonatta attitude ! 
»

De Nathan57
«Ancienne formule qui pour moi était de bien meilleure qualité. Maintenant j'ai l'impression de lire Femme Actuelle en plus onéreux et avec en plus les annonces publicitaires pour riches Parisiens, j'ai l'impression que TÊTU à perdu son âme, et me ressemble de moins en moins.»

Non, TÊTU ne s'adresse pas qu'aux gays fortunés! Mais je renvoie à ma réponse sur la première question, concernant la diversité: il s'adresse aussi à eux. S'il existait 60 millions de gays en France, on pourrait avoir plusieurs magazines ciblant plusieurs types de publics. Mais ce n'est pas le cas, et TÊTU veut s'adresser à tout le monde. Les questions se focalisent sur la mode et les vêtements montrés dans le magazine. Elles sont injustes, dans la mesure où la nouvelle formule de TÊTU propose maintenant des choix dans toute la palette de prix (page 51 du numéro en cours, un T-shirt à 39 €, un pantalon à 60 €, etc.). Ensuite, j'ai l'impression que ces questions proviennent surtout de lecteurs qui n'aiment pas la mode, ni dans TÊTU ni ailleurs. C'est tout à fait respectable, mais comme je l'ai déjà répondu, une grande partie des gays aiment la mode, et il serait illogique de ne pas répondre à leurs attentes. Il se trouve que les tendances de la mode sont «faites» principalement par les créateurs des grandes marques, c'est une réalité dont TÊTU n'est pas responsable. Les amateurs de mode admirent les dernières créations de Givenchy ou Lacoste sans forcément avoir besoin de les acheter! Ils repèrent les tendances qui se retrouveront dans les lignes de vêtements meilleur marché.

Pour répondre à Flavourebony, non je n'ai pas l'impression que TÊTU ne s'intéresse qu'à une certaine «classe» de gays. Les pages Je-Tu-Ils, Sexo, 15-20 ans, Têtu+, Décryptages, Associations, In Situ, Scope, sont remplies de gays de tous âges, origines, métiers, milieux. Ça se voit même à travers les photos des témoins qui parlent!

Je me permets d'attirer votre attention sur une chose: il ne suffit pas de décider de faire un article sur, par exemple, les agriculteurs gays ou les blacks gays: il faut ensuite trouver les hommes qui acceptent de témoigner. C'est une tâche très difficile, à laquelle nos journalistes consacrent beaucoup de temps et d'énergie. Qui plus est s'il faut les convaincre d'accepter de faire une photo. Et c'est normal, parce que dans beaucoup de situations, ça n'est pas anodin de découvrir une partie de sa vie dans un magazine. Mais c'est pourtant ce que les lecteurs aiment lire dans TÊTU. Retenez cependant qu'il y a presque un sujet sur trois que nous abandonnons faute de témoins...



PARIS / RÉGIONS

De Zboub0
«Peut-on laisser la place à autre chose que la gayté parisiennne? Bref, y aura t'il une place pour tout ce qui a plus de 25 ans, pèse plus 80 kilos, ne vit pas dans le Marais, n'est pas un geek, dépense moins de 100 euros de produits cosmétiques par mois, roule à moto ou en voiture ancienne?
»

La réponse précédente répond en partie à cette question. En dehors des pages Mode, toutes les autres pages du magazine, c'est-à-dire l'essentiel, peuvent potentiellement concerner tout le monde. En Culture, les spectacles présentés peuvent donner cette impression, car une grande partie de la création scénique se fait à Paris, mais nous prenons toujours soin de mentionner quelques événements organisés en régions.


De alexandre34
«J'aimerais bien que Tétu(e) s'intéresse un peu plus au gays (e) de province, région par région voir plus dans les régions tout en continuant les articles qu'il publie nous sommes tres nombreux en province ,faire des reportages par exemple sur tous les sujets nous concernant cela est il envisagé?»

De Mout-hard
«Bonjour,
Vous faites un bon magazine, n'exagérons rien. Mais je pense que votre magazine est très centré vers une certaine population parisienne, ou tout au moins très urbaine, très chic, très glam. Il en faut, mais pas que.
 Voilà donc ma question: pensez-vous donner des "cartes blanches" à des homos plus... provinciaux, ou tout au moins avec des styles de vie différents? Un article sous un nouvel angle, chaque mois, l'occasion de faire émerger des talents, mais aussi une visibilité accrue pour une partie du milieu gay qui se sent (un peu) délaissée dans vos pages, pour des petites associations, des petits événements, etc.»

Nous essayons systématiquement de trouver des témoins en régions pour nos sujets. Dans le dernier numéro, deux des trois témoins principaux du sujet «Je n'aime que les mecs machos» sont de province (Marseille et Metz). Les pages Associations sont consacrées à l'APGL de Montpellier. Le dossier Saunas a été réalisé à Rouen et Bayonne. Il y a une page Sortir sur Perpignan, etc. On pourrait faire plus, mais avec le risque de laisser penser aux Franciliens qu'on s'intéresse moins à eux !

De Fredfromzh
«Je trouve que TÊTU a une sale odeur de Marais-ghetto qui oublie qu'on vit très bien (mieux?) ailleurs que dans le 4e. Les reportages sur les autres villes sont souvent creux, mal documentés, on a l'impression que Têtu se contente d'interroger 2-3 figures du milieu gay (= patron d'un sauna, d'un bar et d'un club) pour synthétiser l'esprit d'une ville...»

Beaucoup de mauvaise foi dans cette question: je ne vois vraiment pas où dans le magazine on na jamais dit qu'on vivait mieux dans le Marais qu'ailleurs. Pour information d'ailleurs, 95% des salariés et pigistes de TÊTU n'habitent pas dans le Marais et en sont très heureux. Les locaux du journal sont même situés bien loin du quartier gay! Et la très grande majorité d'entre nous avons grandi en province (à Dunkerque, pour ma part). On ne parle quasiment jamais du Marais dans TÊTU, à tel point que le reproche en a été fait par les Parisiens dans les enquêtes-lecteurs.



LE PRIX

De donibane
«
Mes questions : Quand est ce que vous baissez le prix de vente ?»

J'ai bien conscience que pour beaucoup, 5€ est un prix élevé pour un magazine. Il faut cependant garder à l'esprit que réaliser un magazine de 200 pages comme TÊTU coûte cher : le papier, l'impression, les productions photos originales, la distribution, etc. Les salariés de TÊTU ont des salaires modestes par rapport au reste de la profession, pour ne rien dire des pigistes, qui choisissent de travailler pour nous quand ils pourraient gagner deux fois plus dans un autre magazine.

Malgré tout ça, TÊTU perd encore de l'argent, et cherche à trouver son équilibre. Cela passe par regagner des ventes (pour la première fois depuis 2005, les ventes de TÊTU vont augmenter en 2011), et aussi par regagner de la publicité. Je le dis ici pour ceux qui se plaignent de la place trop grande de la pub dans TÊTU: comme les autres magazines, nous avons besoin de la publicité pour vivre ; souhaiter le même TÊTU qu'aujourd'hui sans aucune publicité, cela voudrait dire être prêt à payer 10 ou 12€ pour un numéro. Je ne pense pas que ce soit raisonnable.


LA POLITIQUE


De MysteriouScow
«TÊTU est-il condamné à ronronner avec le PS ou allez vous pousser les candidats à l'élection présidentielle dans leurs retranchements concernant leurs projets pour améliorer nos droits?»

A lire cette question, j'ai l'impression que MysteriouScow ne lit pas TÊTU. Le magazine a commencé au début 2011 les interviews des politiques en prévision de la présidentielle : Hervé Morin (mars), Eva Joly (avril), Arnaud Montebourg (mai), Manuel Valls (mai), Nicolas Hulot (juin), Jean-Luc Mélenchon (juillet), Jean-Louis Borloo (juillet), Ségolène Royal (septembre), Martine Aubry (octobre), François Hollande (octobre), François Bayrou (novembre), Marine Le Pen (décembre). Si les socialistes y sont nombreux, c'est parce qu'il y avait une primaire dans ce parti. Par ailleurs, il faut savoir que les hommes politiques de droite, notamment de l'UMP, sont souvent très ambivalents pour des interviews à TÊTU: ils sont toujours d'accord sur le principe, mais jamais disponibles!

Suite des réponses à vos questions, demain mardi sur TÊTU.com.

Par Rédaction lundi 19 décembre 2011