Sibérie: le quotidien des lesbiennes «invisibles et silencieuses»

REPORTAGE. D'un côté, il y a Julia et Anna qui vivent leur amour au grand jour. De l'autre, il y a des dizaines de lesbiennes en souffrance. Nous sommes en Sibérie occidentale, à mi-chemin entre traditions et modernité.



De Tioumen.

L'une est juriste, l'autre travaille dans l'immobilier. La première a 20 ans, l'autre 33. Julia et Anna (photo ci-dessus) ont toutes deux grandi à Tioumen, capitale de la Sibérie occidentale… et ce n'est pas demain la veille qu'on les délogera, homophobie ambiante ou pas! Non, comme dit Anna, «je suis Russe» et «je resterai en Russie».

«Je suis têtue!»
Les deux jeunes femmes se sont rencontrées il y a cinq mois, lors d'une soirée d’Halloween. Peu de temps après, elles emménagent ensemble, travaillent dans la même société, affichent leur relation naissante dans les rues de Tioumen, une petite ville de province russe qui compte tout de même plus de 500.000 habitants.

À écouter les deux jeunes femmes raconter leur quotidien, être lesbienne en Sibérie paraît facile: «En ce qui me concerne, je suis vraiment têtue!», explique Julia, qui vit comme si elle et Anna étaient seules au monde. «Je ne vais pas attendre que la société m'accepte. Je m'impose!», assène-t-elle. «Je m'habille comme il me plait, je tiens la main de ma copine dans la rue, je l'embrasse… Au pire, un passant se demandera si je suis un homme. Mais jamais nous n'avons subi d'agression ou encouru de reproche.»



Boîtes homos
Même en Sibérie, on trouve des boites homos, et pas qu'une. Même si elles ont du mal à survivre, faute de clientèle. Le Paradise en est la preuve. Julia et Anna nous y conduisent un samedi soir. Arrivées à l'adresse indiquée, pas de pignon sur rue. Rien qu'une porte close. Cinq minutes d'attente et la porte s'ouvre. «Pour entrer il faut connaître du monde…»

Il semble que les deux jeunes femmes constituent un cas isolé, forts caractères aidant. En réalité, «ce n'est pas simple», confie Sanya Bikina (photo ci-contre), psychologue de l'association Rainbow House, une organisation qui vient en aide à la communauté LGBT de la région. «Notre association n'est même pas autorisée par l'Etat!», regrette Sanya, elle-même bisexuelle. Avec deux juristes, la jeune Tiouménite anime des ateliers, des cercles de parole, des consultations particulières et diverses actions publiques.

«Une gay pride à Tioumen? Ce n'est pas la priorité»
Se balader main dans la main dans les rues de la ville? Mieux vaut ne pas y penser. C'est effectivement risqué. «Dans les clubs homos, d'accord. Ou alors à Saint-Pétersbourg, qui reste la capitale gay russe, malgré la nouvelle loi homophobe en vigueur depuis peu (lire notre article). Mais pas ici.»

Une gay pride à Tioumen? Inenvisageable. «Ce n'est de toute façon pas la priorité pour le moment, estime la psychologue. Et puis nous ne sommes pas assez nombreux à nous manifester. Nous devons d'abord retrouver notre dignité, dit-elle. Beaucoup de lesbiennes et plus généralement d'homos souffrent ici et se pensent anormaux. La situation nous rend invisibles et silencieuses.»

Photos: Arnaud Finistre pour TÊTUE.

Par Caroline Gaujard-Larson lundi 14 mai 2012

Source : http://www.tetu.com