Caroline Mécary: «Manuel Valls a l’indignation sélective»
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Caroline Mécary: «Manuel Valls a l’indignation sélective»
L'avocate critique avec virulence la posture du Premier ministre sur la GPA, qu'elle estime politicienne et inadmissible.
L’avocate et conseillère de Paris Caroline Mécary a accepté de répondre aux questions de Yagg concernant la question de la gestation pour autrui (GPA), et les récentes prises de position du Premier ministre Manuel Valls. Visiblement exaspérée par ses propos, elle livre un constat sans appel de la situation: «Manuel Valls a instrumentalisé cette question de la gestation pour autrui. D’une part en donnant cette interview à La Croix, il a cherché à couper l’herbe sous le pied des manifestants du 5 octobre en leur donnant des gages, il a cédé à la pression d’une minorité réactionnaire, qui hait la République, qui hait les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Dans le même temps, il a à dessein parfaitement eu conscience que ça allait agiter un chiffon rouge qui allait détourner l’attention des autres choix politiques du gouvernement avec notamment l’incapacité de ce gouvernement à réduire le nombre de chômeurs, et les récentes annonces sur les allocations familiales.»
MÉPRIS DES INSTITUTIONS ET DÉCLARATIONS POLITICIENNES
«Ce que je trouve inadmissible, c’est d’avoir instrumentalisé cette question de la GPA d’abord en disant une lapalissade, note en premier lieu Caroline Mécary. La GPA est interdite depuis 1984, il n’y a pas besoin de le répéter, il a été dit sur tous les tons depuis maintenant bientôt trois ans que ce gouvernement n’allait pas ouvrir la GPA! Ce n’est pas la peine de le dire… sauf effectivement, pour se coucher devant une minorité de réactionnaires et créer un bouc émissaire en la personne de ces enfants qui sont nés dans le cadre d’une GPA. Au delà de cette analyse politique, je trouve absolument inadmissible que Manuel Valls dise que la France ne respectera pas les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), des arrêts qu’il aurait pu porter devant la grande chambre, choix qu’il n’a pas fait de sorte qu’ils sont définitifs et s’imposent aux autorités françaises. Cela montre doublement le caractère d’instrumentalisation politique de la GPA. En annonçant publiquement qu’il n’y aurait pas de transcription automatique, alors que la CEDH dit très clairement que le fait de ne pas transcrire les actes de naissance des enfants est une violation du droit à la vie privée et familiale des enfants, Manuel Valls conteste le pouvoir des juges et la fonction judiciaire de la CEDH. Il fait une synthèse entre le sarkozysme, on se souvient de Nicolas Sarkozy traitant les juges de petits pois, et le “marinisme”, avec Marine Le Pen qui vient de demander à ce que la France dénonce la Convention européenne des droits de l’homme. De par mon métier, et la citoyenne que je suis, je suis profondément attachée au respect de la Loi et de son interprétation par les juges et notamment par la CEDH.»«Manuel Valls ne prend peut-être pas la mesure du caractère dévastateur de sa prise de position politique à l’égard des institutions. C’est une réelle remise en cause des institutions judiciaires, c’est donc une remise en cause de la notion même de ce qui est le droit et la justice. Il n’est pas au dessus des lois, il ne peut pas s’affranchir des lois. Si lui le fait aujourd’hui, le soi-disant homme de gauche, que va faire Marine Le Pen quand elle sera au pouvoir?»
Pour Caroline Mécary, pas de doute que ces déclarations servent un intérêt politicien: «Cela me semble institutionnellement gravissime et ce d’autant plus que c’est un positionnement opportuniste servant une ambition personnelle, avec en outre, une erreur car face aux minorités réactionnaires et sectaires, plus vous lâchez du lest, plus vous leur donnez de la force, plus vous leur donnez envie de combattre. Manuel Valls a été en Grande-Bretagne, il était en admiration devant les entreprises et n’a cessé de dire qu’il aimait les entreprises, ces mêmes qui exploitent des centaines de millions de travailleurs. Ça ne le dérange pas. Et puisqu’il est si admiratif de la City, pourquoi n’a-t-il pas encensé la loi britannique qui autorise un couple de parents à faire appel une femme qui va porter leur enfant? Il est pour un libéralisme échevelé en matière d’entreprise, mais dès qu’il s’agit de questions plus complexes, il monte sur ses grands chevaux. Il a l’indignation sélective.»«Ces déclarations politiciennes ont un effet dans la société, sur les familles, sur les enfants et en l’occurrence les effets sont délétères. Je vois dans les dossiers s’aggraver les situations. Je vois des demandes de l’administration devenir de plus en plus intrusives dans la vie privée de mes clients et parfaitement arbitraires. Pourquoi ces fonctionnaires s’arrêteraient-ils? Valls leur a délivré un “permis de tuer”.»
LA FRANCE BIENTÔT DE NOUVEAU CONDAMNÉE PAR LA CEDH?
Manuel Valls a affirmé que la France ne se soumettrait pas à la décision de la CEDH, mais dans les faits, est-ce réellement possible? Pas sûr, selon l’avocate: «Les juridictions françaises seront saisies loin du bruit et de la fureur politicienne. Loin des médias aussi, prédit Caroline Mécary. Et nous verrons ce que le Tribunal administratif ou le Tribunal de grande instance pensent des arrêts de la CEDH dont le Premier ministre n’a pas fait appel. Au final, ce sont les tribunaux qui seront saisis, dans la discrétion du travail judiciaire, et qui rendront justice aux familles concernées. S’il le faut, on peut raisonnablement penser que la CEDH condamnera à nouveau la France pour l’atteinte portée à la vie privée et familiale des enfants. La CEDH va pouvoir poursuivre son instruction de trois procédures dont je m’occupe. Je l’ai informée des déclarations de Manuel Valls en communiquant son interview dans La Croix qui devient ainsi une pièce de la procédure, que les juges strasbourgeois apprécieront.
Caroline Mécary rappelle en outre que les décisions rendues par la CEDH ne portent aucunement atteinte au droit français: «Dans les affaires Mennesson et Labassée, les juges de la CEDH ont rendu deux arrêts extraordinairement équilibrés: à la fois, ils ont eu l’intelligence de ménager la souveraineté de la France en rappelant qu’un pays a le droit d’interdire la gestation pour autrui. Ce n’est pas remis en cause. En revanche, la Cour doit examiner quel effet produit cette interdiction alors même que des enfants sont nés. C’est là où elle dit de façon judicieuse et mesurée que le fait de refuser de transcrire les actes de naissance étrangers est une violation gravissime du droit de l’enfant à son identité. C’est pour cela que la France a été condamnée. Pour appliquer les arrêts de la CEDH, il n’y a pas besoin de changer la loi. Le refus de transcription ne vient pas d’un texte, mais de la pratique du parquet de Nantes qui a été entériné par la cour de cassation. Comme c’est une pratique, il suffit que le garde des Sceaux donne instruction au parquet de Nantes d’appliquer les arrêts Mennesson et Labassée, qui disent que le refus de transcrire est une violation de la Convention. Le fait que Valls monte au créneau sur ce sujet là est totalement politicien. D’autant plus qu’il a été favorable à la gestation pour autrui.»
UNE ÉVOLUTION DES MENTALITÉS INÉLUCTABLE
Difficile d’envisager qu’un débat plus apaisé s’installe en France, au vu des délires passionnels que déclenchent le sujet chez les opposant.e.s à la GPA. «Aujourd’hui nous sommes dans l’hystérie la plus totale, confirme Caroline Mécary. Il faut savoir que l’OMS reconnait [la GPA] comme un procédé d’assistance médicale à la procréation qui peut être acceptable dès lors qu’il respecte les intérêts des différents protagonistes. On peut envisager un cadre respectueux de la dignité humaine. La caricature qui est faite de la GPA est abjecte et tellement éloignée de la quasi totalité des histoires familiales de ces couples qui ont eu recours à une femme qui va les aider à fonder une famille. Pour un débat apaisé, un élément me parait important: nous sommes dans une société qui est altérée par les mutations technologiques, biochimiques et chimiques, de pollution, de changements climatiques. Tous les facteurs de pollution environnementales, que ce soient les perturbateurs endocriniens, les produits chimiques, ont des effets sur la fertilité de chacun de nous. Je pense que le recours a une femme qui acceptera de porter un enfant, parce que vous ne pourrez plus le porter ou ne pourrez pas le porter, pourra devenir quelque chose d’acceptable dans peut-être dix, quinze ans.«Nous sommes dans des périodes où les mutations sont très très rapides: souvenez-vous du mariage pour tous, insensé en 2004, voté en 2014. Ce qui aujourd’hui est présenté comme la pire des abominations avec une ignorance abyssale de la réalité de ce que recouvre la gestation pour autrui lorsqu’elle est encadrée de façon à respecter la dignité de chacun, ne peut qu’évoluer.»
Abasourdie par l’absence de voix dissonantes, Caroline Mécary continue de fustiger la «malhonnêteté intellectuelle» qui parasite le débat: «On utilise des images qui ne correspondent à rien, qui sont les pires repoussoirs qui puissent exister. Quand on veut faire évoluer les droits des femmes, il ne vient à l’idée de personne d’aller prendre comme exemple ce qui se fait en Arabie Saoudite, où les femmes ont à peine le droit de conduire, on regarde les exemple de pays avancés. Sur la GPA, pourquoi on ne regarde pas ce qui se pratique au Royaume-Uni, en Grèce, en Israël, au Canada ou aux États-Unis, pour voir les bonnes et les mauvaises pratiques et en tirer les conséquences? Si on veut à ce point lutter contre l’exploitation supposée des femmes à l’autre bout du monde, que la France se donne les moyens pour que les couples ne partent pas à l’étranger et organise intelligemment ce mode de procréation. Vouloir pénaliser en la matière est la plus stupide des idées. Et s’il y a bien une chose que ma pratique professionnelle m’a apprise, c’est que le désir d’enfant peut être réfléchi, mais lorsqu’il est là rien ni personne ne l’arrête.»
Photo Xavier Héraud
Publié par Maëlle Le Corre
Source : http://yagg.com/2014/10/10/caroline-mecary-manuel-valls-a-lindignation-selective/
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