«Lost in Paradise» est le premier film vietnamien qui développe une vision positive de l'homosexualité. Pour sa première projection en Europe, il a été choisi par le festival international du cinéma de Berlin, qui se déroulera dans quelques jours.
L'amour et l'intimité entre deux hommes est un thème devenu banal sur les écrans de cinéma de beaucoup de pays. Mais pas au Vietnam, où Lost in Paradise (Perdus au paradis), premier film à développer une vision positive de l’homosexualité, aide un peu à sortir l'homosexualité du placard. Les spectateurs curieux se sont dernièrement pressés dans les salles obscures pour découvrir cette histoire d'amour impossible entre un prostitué et un libraire, et entrevoir ainsi une réalité généralement cachée dans le pays communiste.
«Maintenant, je pense qu'ils sont comme nous»
«Maintenant, je pense qu'ils sont comme nous», lance ainsi une Vietnamienne de 50 ans, qui préfère toutefois rester anonyme, après une projection dans la capitale. Mais pour d'autres, c'est le malaise qui domine. Comme ce groupe de jeunes qui ne peut de s'empêcher de rire ou cette adolescente qui se cache les yeux lorsque que les deux acteurs s'embrassent à l'écran.
Dans un pays où domine la morale confucéenne, qui insiste sur tradition et famille, l'homosexualité reste largement tabou. Et les gays sont communément caricaturés, dépeints comme des figures comiques ou des malades pouvant être traités. Des préjugés que Lost in Paradise espère faire évoluer. «Nous voulons juste apporter notre contribution, pour que les gays soient mieux acceptés dans notre société. Ils n'ont besoin ni de compassion ni de compréhension. Ils ont besoin d'égalité», souligne Luong Manh Hai, un des acteurs principaux et co-auteur du scénario.
Les scènes explicites censurées
Le film, réalisé par Vu Ngoc Dang, a été bien accueilli par la critique. Au Vietnam, il a obtenu de prestigieuses récompenses. A l'étranger, il a par exemple été sélectionné et projeté par les festivals de Toronto, Vancouver, ou encore de Pusan, en Corée du Sud. Il a aussi été choisi par le 62e festival international du cinéma de Berlin qui se déroule en février – ce sera sa première projection en Europe –, avant une sortie en DVD en octobre.
Mais cette «tranche de vie» a été édulcorée pour les spectateurs vietnamiens, les censeurs ayant fait couper les scènes les plus explicites, reconnaît Hai. La séquence la plus osée à survivre aux foudres de la censure montre Hai caresser et embrasser le corps nu de son amant, filmé depuis un angle qui laisse apercevoir une fesse et laisse le reste à l'imagination des spectateurs.
«Un succès»
Lost in Paradise a jusqu'ici rapporté quelque 20 millions de dongs (environ 750.000 euros), «un succès pour un film de ce genre», note un responsable de la société de production BHD Media, sous couvert d'anonymat.
Dans la petite communauté gay de Ho Chi Minh-Ville, où la vie semble plus facile pour les homosexuels que dans le reste du pays, le film a été reçu chaleureusement. «Je ne sais pas si le film a réussi à dire aux gens qu'être gay est normal, mais c'est sûr qu'il a aidé à leur faire comprendre qui nous sommes vraiment et à quel point les préjugés contre nous sont faux», estime Nguyen Quoc Duy, étudiant de 21 ans.
Une presse moins discriminatoire
Pour le sociologue Le Quang Binh, une telle oeuvre, tout comme une récente exposition photo sur la communauté homosexuelle de Hanoï, est un premier pas. «La presse est devenue moins discriminatoire et plus objective en couvrant des sujets gays», estime-t-il, soulignant que les réseaux sociaux aident aussi à changer la perception de l'homosexualité. Certains médias locaux ont couvert en 2010 ce qui a été qualifié de premier mariage entre deux femmes ainsi que celui de deux hommes en juin dernier, même si ces événements n'étaient que symboliques puisque illégaux selon la loi vietnamienne, poursuit-il.
«La jeune génération, maintenant, est également plus ouverte» et tout cela pourrait aider à permettre à plus d'homosexuels de sortir du placard, insiste-t-il. Mais le changement prendra du temps. Khoa, homme d'affaires de 34 ans, dans la capitale, n'a pas révélé son homosexualité à ses parents qui vivent à la campagne, craignant de causer «des dommages inimaginables» à sa famille. «Je doute que mes parents changent d'avis sur le fait que les gays sont malades en regardant Lost in Paradise», lâche-t-il. Malgré tout, il est encouragé par l'évolution, même lente, des mentalités: «La route sera longue, mais il y a de la lumière au bout du tunnel».
Par Rédaction (avec agence) lundi 30 janvier 2012