Marie Labory: «Il y a des lesbiennes qui se cachent parmi les femmes de télé»
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Marie Labory: «Il y a des lesbiennes qui se cachent parmi les femmes de télé»
INTERVIEW. Depuis quelques semaines, l'émission «Arte Journal» a changé de formule. Marie Labory, une de ses présentatrices, reste à ce jour la seule journaliste ouvertement homo du PAF. TÊTUE refait le point avec elle sur la très faible visibilité des lesbiennes parmi les femmes de télé.
Depuis son coming out médiatique en 2005, rien n'a changé: Marie Labory est toujours la seule lesbienne assumée parmi les journalistes et animatrices de télé françaises. Et elle s’étonne d’ailleurs que ce tabou n’ait toujours pas flanché... Après être passée par Pink TV, Cinécinéma, France 2 ou encore France 3, elle a depuis quelques années rejoint les rangs d’Arte. Avec le lancement, il y a quelques semaines, de la nouvelle formule d’Arte Journal, elle reste, en alternance avec Leïla Kaddour-Boudadi, le visage de l’info francophone de la chaîne.
Trois ans après sa dernière interview accordée à TÊTUE, elle refait le point sur la très faible visibilité des lesbiennes parmi les femmes de télé. Son constat: certaines journalistes et animatrices cachent leur homosexualité. Que craignent-elles? Marie Labory nous donne son point de vue.
TÊTUE: Il y a maintenant deux filles à la tête de la version francophone d’Arte Journal. Est-ce qu'on peut dire qu'Arte est une chaîne féminine?
Marie Labory: C’est vrai qu’on a une patronne féminine, Véronique Cayla. Et effectivement sur quatre présentateurs - deux Français, deux Allemands - on est trois filles. Et puis on a énormément de chefs d’éditions qui sont des femmes.
Aujourd’hui, sept ans après ton coming out médiatique, tu es toujours la seule lesbienne out du PAF (Paysage Audiovisuel Français)...
Il semblerait oui (sourire)... Je ne sais pas dans quelle mesure, si je n’étais pas passée par Pink, j’aurais été out. Peut-être qu’on ne m’aurait jamais posé la question. En tout cas si on me l'avait posée je ne me serais pas cachée, c’est évident.
Sur le fait qu’il n’y ait pas de lesbiennes à la télé en France, je trouve ça un peu étonnant si on regarde le pourcentage d’homos dans la population... Donc j’imagine qu’il y en a beaucoup, qu’il y a en plusieurs en tout cas et qu’elles ne le disent pas. Je le respecte, mais je trouve ça toujours aussi étrange.
Suite à ton coming out, est-ce qu’il y a des femmes de télé qui sont venues te dire qu’elles étaient elles aussi lesbiennes mais qu’elles ne voulaient pas le révéler?
Non, aucune.
Il y en a qui se cachent?
Oui il y en a. Bien sûr.
Mais vous n’en avez jamais parlé?
Non. Parce que, pour celles que j'ai croisées, j’ai senti dans leur regard qu’il n’y avait surtout pas intérêt à en parler.
Qu’est-ce qu’elles craignent ?
Déjà je pense que tout ça va changer car je vois que les générations qui arrivent sont beaucoup plus actives associativement, dans les soirées, dans les publications qu’elles produisent... Elles sont beaucoup plus out. A l’avenir ce sera quelque chose de beaucoup plus banal. Je pense qu’il y a une question de génération qui fait que les femmes, dont les lesbiennes, ont vécu avec une chape de plomb, celle d’une éducation qui les encourage à être du côté de la douceur et de l’abnégation.
Deuxième chose, je pense qu’il y a une peur d’être catégorisée et de ne plus intéresser le grand public. La question se pose d’ailleurs aussi pour les musiciennes, les actrices...
Autre explication, et ça aussi je pense que ça va changer: pendant très très longtemps, ceux qui prenaient les décisions dans les médias étaient des hommes. Or quand on exerce un métier public comme celui-là il y a une part de séduction qui est importante, envers le public comme envers ses pairs: ce n'est pas de la drague, mais on est tous un peu obligés de se séduire les uns les autres pour se parler. Ce qui fait que les lesbiennes s’auto-censurent en se disant qu’elles ne seront plus capables de séduire les hommes; et que les patrons se disent qu’ils ne peuvent pas mettre une fille comme ça à l’antenne parce qu’elle ne parlera qu’à une minorité...
Et enfin il y a bien sûr, au coup par coup, de l’homophobie. Du style «je ne veux pas d'une gouine dans ma rédaction».
Est-ce que tu as, toi même, déjà été victime d’homophobie à l’embauche?
C’est assez rare de subir une homophobie très directe et violente. Généralement ce sont des choses rampantes. Je pense que c’est la même chose quand tu es arabe ou noir et que bizarrement ton CV on ne le prend jamais, qu’on te sort toujours une bonne raison... J’ai eu du mal à trouver du travail en sortant de Pink et je me suis vraiment posé la question car avant ça j’avais toujours trouvé sans problème. Et dans certains cas, quand on me recalait, la raison était claire...
Par exemple?
Une fois on m’a dit «on ne peut pas te prendre parce que les gens vont te reconnaître». Ce qui est complétement absurde parce que si les gens me reconnaissent c’est qu’ils regardaient Pink donc qu’il n’y a aucun problème...
A d’autres endroits, je sentais bien que je ne correspondais pas à l’image de la chaîne. Mais ce sont des non-dits. On ne va pas te dire «avec tes cheveux courts et ta tête de lesbienne on te prendra jamais», mais tu le sens. Après, quand j’étais plus jeune, dans les rédactions j’ai vécu des provocations bêtes et méchantes. A TF1 par exemple.
En quoi c’est important d’être out, de donner de la visibilité aux lesbiennes?
Etre homosexuel, ce n’est pas juste coucher avec une personne du même sexe. Ça, les hétéros aussi peuvent le faire... Etre homosexuel, c’est être visible socialement, c’est prendre un appartement avec sa compagne, le dire à ses parents, dire qu’on veut des enfants, dire qu’on veut être mutée parce que sa compagne part ailleurs, venir aux soirées organisées par son entreprise avec sa compagne. C’est à ça que ça sert.
Et puis il faut rappeler qu’il y a encore des gamins qui se suicident, qui sont harcelés, des lesbiennes qui sont violées un peu partout dans le monde. Quand ils grandissent, les ados homos ont une angoisse supplémentaire par rapport aux ados hétéros: ils doivent annoncer leur homosexualité à leurs parents. Si personne n’en parle, ça peut devenir quelque chose de très douloureux... Quand j’étais gamine, au fin fond de ma campagne, j’aurais adoré entendre parler de ça, me dire que je n’étais pas seule, que je n’étais pas une erreur de la nature.
Tu as déjà déclaré que c’était aux lesbiennes de se bouger pour créer de la visibilité. Est-ce que tu maintiens?
Oui, on en revient à la question de «pourquoi n’y a-t-il pas de lesbienne out?». Elles vont t’expliquer, et c’est imparable, que chacun a sa vie privée et que ça ne regarde personne. Moi ça me pose davantage de problèmes quand on fait semblant d’être hétéro. Là on est dans le travestissement...
Tu penses que les jeunes lesbiennes manquent de modèles aujourd’hui?
Oui, et pas que les filles homos. Les filles en général ont besoin d’images un peu différentes de celles qu’on leur matraque en permanence. En plus en ce moment c’est pire que tout: hypersexualisation, modèle féminin unique... J’ai plein d’amies hétéros qui se reconnaissent dans ce que je suis, dans ce que je dégage. Je pense que c’est important de donner d’autres modèles. Je crois que ça fera avancer tout le monde, pas seulement les lesbiennes.
Qu’est-ce que ça t’a fait d’être la première lesbienne du PAF ouvertement lesbienne? A 27 ans seulement en plus…
Ce qui est drôle c’est que ça ne fait rien du tout. Je vais encore passer pour une râleuse jamais contente, mais quand je l’ai fait je me suis rendu compte que ça ne faisait pas beaucoup bouger les choses. J’ai été assez étonnée, ça a été un non-événement... Les lesbiennes, en France, s’imaginent qu’il n’y a personne qui les représente. Ce qui est un peu fatiguant car si, il y a quelqu’un qui est out! Je me souviens, quand j’ai commencé à Pink et que je sortais dans les lieux de filles, elles étaient odieuses avec moi: «Nous on n’aime pas la télé, et puis de toute façon t’as l'air hétéro, etc.» Jamais contentes... Etant donné qu’il n’y avait aucune représentation, je pense qu’il y avait une attente énorme et que beaucoup ont été déçues: certaines auraient voulu que je sois plus butch, d’autres que je sois plus féminine...
Et est-ce que tu as eu des retours positifs, pas forcément de la part de lesbiennes mais de filles dans la rue, de collègues?
Ça a surtout été des garçons en fait, parce que Pink était plutôt regardé par des garçons. Il y a eu quelques filles, mais très peu, qui m’ont dit «j’ai trouvé ça chouette, ça m’a fait du bien». C’était le but donc j’ai été contente.
A la question «Qui est la femme de télé française la plus craquante?», les lectrices de TÊTUE t’ont classée 3e, derrière Alessandra Sublet et Melissa Theuriau. Satisfaite?
Troisième, je suis contente, je prends (rires)!
Est-ce que tu sors dans le milieu lesbien quand tu es à Paris?
Je sortais beaucoup, je sors beaucoup moins maintenant. Je vais de temps en temps aux soirées Barbieturix, aux soirées de gay pride, et il m’arrive d’aller boire un verre à Rosa Bonheur. Avant j’allais au Troisième Lieu mais c’est beaucoup moins le cas.
Chaque année tu couvres le festival de Cannes pour Arte. Est-ce que c’est gay, Cannes pendant le festival?
C’est à fond gay! On commence à se connaître entre journalistes ciné, attaché-e-s de presse, on se retrouve là-bas. L’an dernier lors d’une soirée je me suis rendue compte que j’étais avec 15 mecs, 15 pédés! Voilà, Cannes c'est pédé (rires)!
Et est-ce que c'est lesbien?
Très peu. Il n'y a pas de lieux pour filles à Cannes. Il y a quelques journalistes cinéma qui sont lesbiennes... Mais bon, Cannes c’est un peu n’importe quoi hein, qui est pédé, qui est lesbienne, passée une certaine heure tu ne sais plus trop!
Qu’est-ce que tu penses de la visibilité des hommes journalistes et animateurs gays à la télé française?
Elle a plutôt bien progressé, c’est chouette. Aujourd’hui on a de très bon intervieweurs qui sont des homos affichés, et plus seulement des gens liés au divertissement. Je pense encore une fois que tout ça est lié au retard qu’ont les femmes sur les hommes. Mais ça va bouger...
Donc si dans trois ans on revient et on te repose les mêmes questions, c’est qu’il y a un problème?
Je serai en plus devenue la première lesbienne de la télé à la retraite (rires)!
Arte Journal, tous les jours à 19h45 sur Arte.
Photos: Jean-Philippe Baltel/Arte.
Par Marie Kirschen et Mélanie Vives mercredi 15 février 2012
Source : http://www.tetu.com
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